À quoi ressemblera le travail après le confinement ?
« Ce que la crise rend visible de manière violente et cruelle – et qui était invisible avant, c’est que le télétravail et le confinement ne concernent qu’une petite partie des travailleurs : les classes urbaines, créatives, les cadres dont le boulot est de travailler derrière un ordinateur toute la journée. D’un coup, on voit les travailleurs du front – puisque la métaphore de la guerre est assez appropriée – qui risquent leur vie bien davantage, et dont on dépend. »
Quel sera l’« impact à long terme » de « ce test grandeur nature de télétravail à la fois massif et contraint » qu’a provoqué la pandémie de coronavirus demande Lila Meghraoua à Laetitia Vitaud (sociologue du travail) et Nathanaël Mathieu (spécialiste du télétravail). Pour Laetitia Vitaud, « On est en train de faire un saut de génération » mais « il y a des risques, d’autant qu’on y va sans préparation et parfois avec une culture d’entreprise qui n’est pas adaptée. On pourrait donc avoir le pire des deux mondes, c’est-à-dire un isolement physique et mental, doublé d’une surveillance liée à un management à l’ancienne ». Pour Nathanaël Matthieu, il y a deux pistes. Soit « une prise de conscience de la part de ceux qui ont bien vécu cette phase de télétravail : ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient travailler de manière efficace à distance ; ils ne reviendront donc pas en arrière ». Soit « le cocktail d’un confinement additionné au télétravail, dont tout le monde sort essoré en se disant que l’important est d’être ensemble dans le travail, où les entreprises deviendraient des lieux sociaux uniques, familiaux, en mode corons ». Mais il ne faut pas oublier qu’on est d’abord actuellement dans « du télétravail d’urgence pour assurer un semblant d’activité ». Pour Vitaud, la crise révèle également « que les fonctions les plus vitales en cette période d’arrêt sont occupées par des personnes qui ne télétravaillent pas. Si on reprend l’expression provoc’ de l’anthropologue David Graeber, ce sont ceux qui accomplissent des bullshit jobs qui télétravaillent. Il y a donc un côté un peu indécent à parler autant du télétravail comme d’une solution globale. » La crise devrait en tout cas accélérer l’éclatement du bureau qui « devient un espace parmi d’autres et ne peut plus être pensé de manière isolée pour cause de multiplicité des moyens de communication » (Vitaud). Mais « On ne va pas du jour au lendemain désaffecter nos espaces de travail, ça se fera forcément dans une forme d’équilibre. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’après la crise que nous sommes en train de traverser, on n’ira plus au bureau parce qu’on doit y aller : on ira au bureau parce qu’on doit y voir des gens en particulier » (Mathieu).
(27 mars 2020)