«L’abandon de la psychiatrie publique est le fruit d’une volonté» - Forum protestant

«L’abandon de la psychiatrie publique est le fruit d’une volonté»

 

«Un courant de pensée, à mon avis minoritaire mais hégémonique et arrogant, essaie d’imposer un outil conceptuel qui n’accorde guère de place à la complexité du psychisme humain, et se schématise d’une manière inquiétante: d’une part vers un neuroscientisme confondant sans vergogne le psychisme et le cerveau, d’autre part vers des pratiques d’industrialisation ou de standardisation du soin censées permettre, dans un avenir proche et radieux, de remplacer les soignants (psychiatres et paramédicaux) par des algorithmes.»

Écrivain mais aussi psychiatre hospitalier «depuis près de quarante ans», Emmanuel Venet (interrogé par Johan Faerber) a été dans les années 90 «témoin des fermetures de lits et de l’érosion lente mais continue des moyens budgétaires», dans les années 2000 «de la catastrophique influence du sarkozysme sur la pratique psychiatrique (retour de l’innéisme, fantasme de prédiction de la délinquance, régression sécuritaire, disqualification de l’expertise des psychiatres au profit d’une supposée expertise des préfets et des magistrats)», plus récemment encore d’un «effondrement institutionnel et intellectuel dont la gravité fait craindre une disparition pure et simple de la psychiatrie en tant que médecine du psychisme». Au delà des traditionnelles «querelles théoriques entre psychiatres psychistes et biologistes», il dénonce un «changement d’ambiance» et une absence de débat face à une «hégémonie neuroscientiste» qui «tient pour indiscutable que tous les troubles psychiques seraient le reflet de dysfonctionnements cérébraux». La «logique égalitariste» à l’œuvre à partir des années 60 au service d’une «psychiatrie foncièrement sociale fait l’objet d’attaques et de dénigrements de plus en plus violents» et l’on cherche à instaurer «une démarche thérapeutique (ou se prétendant telle) reposant massivement sur le monde numérique et les nouvelles technologies de communication»: «l’intérêt pour le sujet disparaît, l’attention au symptôme s’estompe, et la focale se règle sur une psychiatrie du risque visant à prévenir tel ou tel comportement : suicide, rupture thérapeutique, violence, etc.». Pour Venet, «il ne s’agit plus de prendre soin de personnes malades mais de gérer les parcours de clients captifs. À mes yeux le péril se trouve là.»

(26 août 2020)