«Il faudra des mouvements» - Forum protestant

«Il faudra des mouvements»

 

« Je crois tout d’abord qu’il faut être sceptique envers soi-même avant de commencer avec les autres. Il faut commencer avec l’idée que tout ce que l’on a écrit n’est que provisoire. Il est fort possible que quelqu’un trouve les moyens de démontrer que ce que vous avez dit n’est pas juste ou qu’il y a des problèmes dans votre raisonnement. C’est un peu le principe de ce que Carlo Ginzburg appelle être son propre avocat du diable. C’est comme cela que l’on construit des problèmes historiques. En se disant, voilà, j’ai lu telle ou telle chose, c’est bien, mais il est possible de dire encore autre chose. Et l’on doit savoir exercer ce travail de lecture critique sur notre propre travail. »

«  Je ne vois pas très bien en quoi on pourrait argumenter que cette crise serait la preuve que le nationalisme fonctionne. » Interrogé par Baptiste Roger-Lacan sur le contraste entre la globalité de la crise du Covid-19 et la « norme médiatique » du « nationalisme méthodologique » dans son traitement, le spécialiste de l’histoire connectée Sanjay Subrahmanyam (auteur d’une biographie remarquée de Vasco de Gama) souligne d’abord que c’est par « excès de nationalisme » que la Chine « a voulu cacher des choses » et que le président Trump a adopté « des réflexes tout à fait absurdes ». Pour lui, même si « la crise sanitaire se comprend beaucoup mieux » à l’échelle régionale que nationale, « de nombreuses personnes vont voir dans cette crise un moyen de renforcer les États-nations au détriment des coopérations internationales ». Prenant l’exemple de l’Inde où le discours du parti au pouvoir veut à la fois « fermer l’Inde par rapport à un certain nombre d’influences extérieures » tout en défendant un libéralisme économique afin de garantir une forte croissance, il montre comment ces contradictions ne gênent pas les nouveaux pouvoirs populistes : « Il n’y a aucune recherche de cohérence. La politique est strictement définie comme une espèce d’opportunisme. La cohérence, c’est la dernière des choses qu’ils souhaitent. Même si vous regardez les discours des uns et des autres, si vous regardez textuellement ce qui est raconté, souvent il y a des contradictions flagrantes. Mais apparemment cela ne gêne pas ni les hommes politiques ni les gens qui votent pour eux. » De même, la crise actuelle « renforcera les deux formes de récit » : d’un côté le « savoir xénologique » destiné à penser l’altérité, de l’autre « des récits sur les autres, sans doute hautement stéréotypés qui puiseront probablement dans les fantasmes du passé » et seront favorisés par des dirigeants qui « ne cessent de brosser leurs peuples dans le sens du poil en insistant sur leur « courage » face à la crise ».

(5 mai 2020)