L’intégration des immigrés : débats et constats - Forum protestant

L’intégration des immigrés : débats et constats

 

« Ainsi, les chercheurs ne détiennent aucun monopole sur la thématique de l’intégration. Elle est abondamment traitée par les politiques, les journalistes, les essayistes, les polémistes – en général avec un bel aplomb. Les politiques usent parfois d’un terme condescendant pour désigner les chercheurs et les experts : les « sachants », sous-entendu ceux qui arborent leur savoir sans affronter les contraintes réelles de l’action. D’expérience, pourtant, et s’agissant de l’intégration, j’observe que les « sachants » – ceux qui savent déjà tout – évoluent davantage dans la mouvance politico-médiatique que dans le monde de la recherche. Les chercheurs qui s’intéressent de près au sort des immigrés dans la société sont plutôt des gens qui doutent et s’interrogent ; ils passent du temps à mettre au point des dispositifs d’observation et d’enquête, à rouvrir les archives pour questionner les catégories, à tester les outils de mesure. Ils ne profèrent pas d’oracles du haut d’une science souveraine. »

Dans ce cours prononcé au Collège de France, le démographe François Héran, après avoir rappelé la « constellation de notions connexes ou rivales » entourant le terme intégration et qui expliquent la diversité des positions à son égard, préfère s’en tenir aux « réalités concrètes », à la « suite de processus observables au fil du temps ». Les vastes enquêtes internationales menées par l’OCDE et la Commission européenne peuvent aider à se faire une idée sur « l’intégration des immigrants telle qu’elle se fait »«  les performances de la France en la matière sont loin d’être éblouissantes », que l’on compare les situations (travail, conditions de vie, engagement civique et social) des premières et deuxièmes générations d’immigrés vis à vis des natifs, les capacités des élèves ou le type d’emploi occupé par rapport au diplôme. Ceci alors que la France a été l’un des premiers pays « à avoir officialisé le concept d’intégration dès la fin des années 1980 ». Sans dire « que faire de tels résultats », Héran détaille ensuite les difficultés que l’on a dans ce pays pour parler d’intégration. D’abord parce que la recherche n’est absolument pas consensuelle sur ce sujet avec au moins trois conceptions : l’intégration conçue comme « idéal républicain » (basé sur le principe d’égalité), vue comme une « promesse creuse » ou au contraire un « instrument de domination » (ces deux conceptions opposées s’accordant sur l’inégalité, exigée d’un côté, contestée de l’autre, entre l’immigré et la société qui l’accueille). Ensuite parce que « l’intégration est une notion récurrente du débat public », elle « court les rues » et c’est là « un obstacle supplémentaire pour qui veut la traiter scientifiquement ». Enfin, parce que c’est « une notion largement rejetée par les immigrés et leurs descendants », peut-être parce que « les enquêtes officielles qui cherchent à évaluer leur degré d’intégration reposent sur un soupçon insupportable : elles mettent en doute la légitimité de leur présence au sein de la société ». Malgré ces difficultés, Héran pense qu’on peut « sauver » la notion d’intégration à condition d’être conscient qu’elle est à la fois un idéal et un processus concret et donc « qu’on ne sait jamais très bien, quand on entend parler d’intégration, sur quel registre on se situe. Descriptif ou normatif ».

 

(14 janvier 2020)