Justice pour restaurer, punir et guérir
7e convention du Forum protestant le 23 novembre 2019 à Paris
La 7e convention du Forum protestant, en partenariat avec l’ÉPUdF, la Fondation Bersier, Réforme, Foi&Vie et l’Association des Protestants du Palais, s’est tenue à l’Espace protestant Marc Boegner à Paris le samedi 23 novembre. Retour sur cette journée avec un résumé en texte et en vidéo des différentes interventions.
Le résumé en vidéo des interventions sur le site du Campus protestant
Justice pour restaurer, punir et guérir : Éric Serfass (1) a repris en ouverture l’intitulé de la 7e convention du Forum protestant mais en commençant par la finalité la plus partagée, la peine qui punit. Et en nuançant aussitôt puisque si la peine punit bien, si « elle cause de la souffrance, provoque des dégâts, fait mal », elle s’adresse la plupart du temps à « des personnes à qui la vie procure peu d’avantages » et pour qui cette punition sera de fait relative : « Cette peine punitive ne convainc personne au tribunal. Personne ne croit que cette peine va faire bouger la trajectoire de cette personne ». Si elle ne punit pas tant que ça, la peine guérit-elle ? La réponse est d’abord négative (« La délinquance n’est pas une maladie ») mais en nuançant aussitôt puisque, les délinquants étant souvent victimes d’addictions diverses, « l’injonction de soins est constante et une proportion importante de personnes condamnées ont besoin de soins ». Enfin, « La peine restaure-t-elle ? » Pour Éric Serfass, la peine « participe à une certaine restauration », que ce soit par les soins évoqués auparavant ou par le « long, laborieux, aléatoire travail de la Justice sur la durée ».
À sa suite, Marion Wagner (2) s’attaque à la « contradiction » que recèle la définition légale de la peine que donne notre Code pénal depuis 2014 avec ses « deux fonctions cumulatives : elle réprime ET (le ET est important) elle réinsère ou insère ». Auparavant, dit-elle, « on distinguait la peine qui punit et les mesures de sûreté, dépourvues de tout but répressif » mais « l’objectif était déjà double bien avant 2014 » (par exemple avec le travail d’intérêt général qui existe depuis 1983) et la définition de 2014 est venue tenter de résumer « une réalité qui existait déjà ». Le problème avec cette nouvelle définition est que « l’incarcération demeure la peine des peines » et que si très certainement la prison réprime, elle ne réinsère absolument pas mais « par essence isole, c’est son objectif premier ». D’où « un non-sens juridique », un « paradoxe pénitentiaire » puisque « la reine des peines se trouve en contradiction avec la définition générale de la peine ». Pour Marion Wagner, « ce que cette contradiction révèle, c’est un évitement. On évite de regarder l’emprisonnement en face. On désocialise, mais pas trop, on aménage … ». On se condamne à l’incohérence alors que « la peine qui a du sens, c’est la peine qui répare le droit blessé de l’infraction, l’auteur, la société, la victime ».
Entre deux moments de questions et de débats, Pierre-Victor Tournier (3) revient sur L’expérience de la contrainte pénale entre 2014 et 2019, une sanction intermédiaire entre l’amende et l’emprisonnement et destinée à éviter que l’incarcération, présentée officiellement « comme la dernière alternative », cesse d’être en fait « la peine majoritairement prononcée en matière correctionnelle », ce qui est « paradoxal » et « peut choquer ». L’objectif était aussi, en s’inspirant de « la probation à l’anglaise », de simplifier le système judiciaire français souvent décrit « comme un couteau suisse … mais où on ne se sert que d’une seule lame ». Le problème étant qu’au lieu de simplifier, « on a rajouté dans la complexité : on a rajouté une couche, deux couches … la contrainte pénale et la libération sous contrainte, ce qui était le contraire de l’objectif ». Une complexité qui rend le système toujours moins lisible alors que « dans les audiences en comparution immédiate, lorsque certains présidents demandent au prévenu : ‘ Vous avez compris ? ‘, ce que l’avocat dit au prévenu, c’est ‘ Vous retournez en prison ‘ ».
En début d’après-midi, Robert Cario (4) reprend les travaux et fait le point sur la justice restaurative. En rappelant d’abord d’où elle vient et sa redécouverte dans les années 1970 lorsque « les collègues anglo-saxons ont remarqué que les nations indigènes n’étaient pas satisfaites de la justice habituelle ». Pourquoi ? Parce que pour ces nations, « la justice s’intéressait au passé des condamnés et pas à leur avenir ». D’où un nouveau regard sur notre justice où, même si « la loi est bonne, les professionnels sont bons », la sentence ne l’est pas forcément puisque « l’auteur et la victime sont laissés de côté ». Les débuts de la justice restaurative en France sont encourageants (une récidive « 7 à 12 fois moins importante pour ceux qui participent à un cercle de justice restaurative », 2 500 personnes formées, « un développement silencieux mais définitivement prometteur ») mais ne doivent pas masquer les difficultés de cet « outil parmi les autres outils », la rigueur des protocoles et « ce qui est essentiel en justice restaurative : la préparation, la préparation, la préparation. La formation des acteurs est donc essentielle ». Avec en plus deux écueils devant elle : « un déficit citoyen car la machine judiciaire est en surchauffe à cause de la pénalisation massive » et un déficit politique car « il faudrait que le citoyen soit un peu plus vigilant vis à vis des hommes politiques. Il faut du courage, surtout au niveau des politiques … »
Guillaume Monod (5) vient ensuite partager son expérience de psychiatre dans un établissement où ont été incarcérés depuis 2015 un grand nombre d’islamistes dits radicalisés. Pour lui, le sens de la peine diffère selon les 3 types d’acteurs en jeu. Pour la société, « la détention du radicalisé permet d’incarner désormais la figure du mal » (après d’autres figures du mal comme le toxicomane des années 1960 et 1970, le terroriste marxiste des années 1970 et 1980, le pédophile à partir des années 1990). Pour le détenu, la peine entraine « 3 types de réponse : c’est une épreuve, c’est qu’ils ont commis une faute, c’est qu’ils ont commis une erreur ». Pour le professionnel enfin, la « vraie question » n’est pas de se demander « Quel est le sens de la peine pour les radicalisés ? » mais « Ce type a une peine à effectuer, comment lui donner un sens dans son parcours de vie ? ». Pour cela, l’important n’est pas « qu’ils ne croient pas à ce qu’ils croient. Le contre-discours ne sert à rien. Il faut un méta-discours, les inscrire dans une perspective de vie beaucoup plus large », « leur faire vivre leurs idéaux mais autrement ». Citant l’exemple concret d’un détenu, il montre que « pour sortir de la radicalisation, il faut quelque chose d’aussi fort que ce qui fait entrer dans la radicalisation : si c’est par idéal humanitaire, il faut un idéal humanitaire ». Tout en n’oubliant pas que, « en prison, ceux qui ont fait le meilleur travail de déradicalisation, ce sont les radicalisés eux-mêmes » (parce qu’ils ont expérimenté concrètement ce que ça entraine et peuvent le partager).
Après 3 ateliers sur Sens et non-sens de la peine avec Éric Serfass, Marion Wagner et Pierre-Victor Tournier, Justice restaurative avec Robert Cario et Brice Deymie, Prison et radicalisation avec Guillaume Monod, Frédéric Rognon (6) s’interroge sur le temps particulier de la prison et si « un certain rapport au temps peut donner du sens à la peine pour que la personne condamnée puisse construire quelque chose ? ». Car en prison, « c’est l’inactivité qui domine. C’est un autre temps, à la fois ralenti et imposé », « chaque journée est semblable à la suivante dans une sorte de grisaille indifférenciée. Le détenu n’a plus aucune maitrise, il est dépendant et déresponsabilisé ». Pour « vivifier, valoriser ce temps qui peut devenir mortifère », il souligne l’importance des « entretiens avec les aumôniers », des visites qui « sont un moyen de raconter, de se retrouver soi-même ». Car « la narration permet de prendre conscience à quel point des rencontres ont pu être délétères ou constructives. Il y a des détenus qui n’ont jamais été vraiment écoutés » et « la rencontre avec l’aumônier, cela peut être la première rencontre avec une écoute et une bienveillance totale ».
Et justement, pour Brice Deymie (7), qui clôt la convention, même si « l’aumônier ne sait rien et n’est rien », il a « énormément de prérogatives, de droits. On peut rencontrer le détenu dans sa cellule aussi longtemps qu’il le souhaite, même dans le mitard » et, plus que la demande religieuse, ce « qui pousse le détenu à demander la visite d’un aumônier », à partager « une moitié de Ricoré tiède dans un verre sale », c’est « la facilité de la rencontre ». Une rencontre qui permet de dire au détenu « Tu es unique et indispensable », de lui rappeler qu’il est aimé et nommé, de lui donner une identité et une altérité. Car « la prison est aliénante » et Dieu peut y être perçu « non comme quelque chose d’écrasant mais comme tiers transcendant » : « C’est la transcendance qui permet de s’accepter alors qu’on est inacceptable. C’est une parole transcendante qui va fonder l’avenir ». À ces « gens qui sont là » et qui « n’ont pas été nommés », « l’aumônier apporte l’autre, la responsabilité et l’autonomie. L’homme est voulu comme différent, c’est un droit de naissance et d’essence. C’est tout le sens du ‘ Me voici ‘ d’Adam et Ève qui suppose un appel. C’est en disant ‘ Me voici ‘ que je suis. On ne remet pas les détenus dans le droit chemin, on leur donne la possibilité d’être ».
(1) Éric Serfass est magistrat. Il a été juge de l’application des peines au tribunal de Pau et procureur de la République au tribunal de Tarbes avant d’être nommé à la tête du Casier judiciaire.
(2) Marion Wagner est maître de conférence en droit pénal à l’Université Catholique de Lyon et responsable du Master droit privé parcours Droits de l’enfant et des personnes vulnérables.
(3) Pierre-Victor Tournier est directeur de recherches au CNRS (Centre d’histoire sociale du XXe siècle) et chargé d’enseignement à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il a été président de l’Association française de criminologie.
(4) Robert Cario est criminologue et a enseigné à l’Université de Pau. Il préside depuis 2013 l’Institut Français pour la Justice Restaurative.
(5) Guillaume Monod est psychiatre et travaille en secteur carcéral.
(6) Frédéric Rognon est professeur de philosophie à la faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg. Il dirige la commission Justice-Aumônerie des prisons de la FPF, est directeur de Foi&Vie et président du Forum protestant.
(7) Brice Deymie est pasteur et aumônier national FPF des prisons.