Pour un Printemps des poètes protestants
Je rêve d’un Printemps des poètes protestants, ou d’un Printemps des poètes dans le protestantisme. Depuis vingt ans, le Printemps des poètes est un fait de société dans le pays, certes moins amplement diffusé que la Fête de la musique, mais assez bien répercuté tout de même par les médias nationaux. Il dit la force et le renouveau de la vie. Cette année, il se déroule du 9 au 25 mars.
Je rêve d’un Printemps des poètes protestants, en plus de la fin de l’été au Musée du Désert où sera célébré de manière très bienvenue un 500e anniversaire au souffle de Théodore de Bèze, parce que, par définition, une tradition n’est vivante que si elle se perpétue aussi de manière renouvelée.
Précisément, lors d’une veillée poétique à Salon de Provence, il y a quelques jours, Karin Burggraf-Teulié rappelait qu’à ses origines, la Réforme avait bénéficié non seulement de la voix des théologiens et du canal de l’imprimerie pour propager ses idées, mais aussi du souffle de ses poètes devenus des représentants prestigieux de sa culture.
De fait, l’écriture des poètes a la spécificité, lorsqu’elle est originale et puissante, d’avoir une valeur universelle, c’est à dire de pouvoir s’adresser à des chrétiens et à des non-chrétiens, à des croyants et à des non-croyants, alertés et séduits par le caractère inédit de son expression et par sa faculté de découvrir de nouveaux aspects du réel et de créer une vision du monde. Elle constitue un patrimoine de l’humanité qui procure les conditions d’une découverte mutuelle et d’un dialogue des pensées.
Je rêve d’un Printemps des poètes protestants, mais il commence à poindre avec notamment la programmation de la soirée organisée le 12 mars par la Bibliothèque de l’IPT de Montpellier et son inscription dans la répertoire national de ces manifestations du Printemps des Poètes. Et cela me réjouit de penser que les lectures de poètes actuels ont été animées par des étudiants de l’IPT, ainsi au diapason de ce souffle de culture vivante, et conscients des dons particuliers de la poésie pour chercher à dire la foi. J’aime à penser que cette soirée a rassemblé des personnes de tous âges, quasiment recueillies dans l’écoute d’auteurs qu’elles pouvaient connaitre, mais dont elles ont de toute manière découvert une bonne part de la production littéraire qui leur était proposée.
Je retiens la force de Ludivine, projetant dans le public les mots de Jean Alexandre résumant la création du monde et son évolution :
je viens de loin, en moi gît le serpent originel
juste à demi soumis en la boite crânienne
et de plus loin, de poudre, de poussière
nuées, subtile pulvérulence interstellaire
de laves, de marais, et d’eau pure et célest
de fourrures de bêtes, de squelettes enfouis
et le grand rire d’ogre qui vient de tout cela
dit la peur et la rage, le plaisir, le bonheur
je suis enfant du monde et de tout l’univers
le reflet d’un visage et le souffle éternel (1)
Je revois la gravité d’Éliane intériorisant et partageant l’expérience de Michel Block et sa spiritualité :
Ton silence est un regard qui ne fait pas semblant
vivre c’est apprendre à être regardé par un silence
qui aime
contre toute attente (2)
Ou la méditation plus philosophique mais tout aussi poétique de Nicolas Dieterlé :
Je sais qu’au-delà de la souffrance, de la haine, du mensonge, de la crainte, de l’avidité … palpite comme une vague la longue phrase d’une perfection murmurante. (3)
Bien sûr, je me souviens avec émotion de la réaction intuitive et très juste de Pierre Adrien adaptant spontanément le rythme de sa lecture aux improvisations musicales de Marc Di Pasquale qui l’accompagnait au piano, tantôt sur un chant d’Occitanie, tantôt sur des résonances grégoriennes, pour illustrer mon petit recueil de vagabondage inspiré, Caminando :
Camargue
J’ai appris les chemins
D’où tu nous raccompagnes
Les prairies de flamants
Clôturant les lagunes
Puis l’escorte marine
Et le vent
Sur les retours
De pistes cahotantes
*
Dans les survols
veloutés
de lumière
Et d’écume
Tu étais sel
de toute plénitude (4)
Je me dis qu’ils seront pasteurs et que la poésie les aidera peut-être à formuler leur foi, en plus des mots de la doctrine et de ceux que leur propre existence leur donnera. Je pensais que, parmi le public, chacun trouverait une connivence par rapport à l’un ou l’autre de ces textes d’inspiration très diverse et je suis heureuse que cela m’ait été confirmé à l’issue de la soirée.
L’implication des centres de formation du protestantisme, ou des paroisses accueillant ce Printemps des poètes protestants qui commence à poindre, donnera certainement de l’élan aux auteurs et encouragera l’entreprise de publication initiée par les éditions Jas sauvages.
Jacqueline Assaël est la fondatrice des éditions Jas sauvages.
Illustration : portrait de Théodore de Bèze en 1577 (Musée de la Réformation, Genève).
(1) Jean Alexandre, poème extrait des Dires du seuil, Limoges, éditions Lambert-Lucas, 2017.
(2) Michel Block, poème extrait de Périchorèse, Marseille, éditions Jas sauvages, 2018.
(3) Nicolas Dieterlé, texte extrait de Trouées de lumière, à paraitre aux éditions Jas sauvages.
(4) Jacqueline Assaël, poème extrait de Caminando, Revue ARPA, Clermont-Ferrand, 2008, n° 94.