Devenir le prochain: de la parabole à la philosophie, et réciproquement
Une parabole (le bon Samaritain), deux philosophes (Emmanuel Levinas et Paul Ricœur): «La transcendance de l’un – Dieu parle à travers le visage d’autrui – s’intègre à la démarche phénoménologique de l’autre dans une herméneutique de la médiation: aimer et être le prochain c’est interpréter le divin qui habite toute relation humaine». Pour Jean-Paul Sanfourche, «dans les discours croisés des deux philosophes, la parabole du bon Samaritain fonde une spiritualité de la relation» où «le prochain n’est pas celui que je désigne mais celui que je deviens en agissant en responsabilité».
«Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Lévitique, 19,18).
«L’autre devient vraiment ‘toi’ quand il n’est pas un motif ou un obstacle à mes décisions, mais lorsqu’il m’enfante par le foyer même de ma décision, m’inspire par le cœur de ma liberté» (Paul Ricœur (1))
«Je ne peux pas voir vers quelqu’un ‘les mains vides’. L’appel à l’aide qui émane d’autrui exige que je renonce à mon existence égoïste et me sacrifie pour lui» (Emmanuel Levinas (2)).
Un commandement toujours actuel ?
«Tu aimeras ton prochain comme toi-même.» Il semble que le commandement biblique que nous portons tous en nous, du moins dans nos mémoires, ne résonne plus, ou sonne creux, dans notre société. Il n’illumine peut-être plus autant qu’on le souhaiterait nos vies. Aimer son prochain comme soi-même… Précepte central de la Thorah, répété à l’envie, y compris sur un mode négatif emprunté au rabbin libéral Hillel («Ce que tu n’aimes pas qu’on te fasse, ne le fais pas aux autres» (3)) ou rappelé à plus ou moins bon escient en guise de remontrance, mais si souvent ignoré, piétiné, où mal interprété. Même s’il n’est pas toujours totalement compris, chacun, croyant ou incroyant, comprend d’abord que c’est un appel à la bienveillance, à l’empathie – ce mot si fréquemment utilisé (se substituant au mot fort sympathie) au point d’être vidé de son sens –, au respect de l’autre et de soi-même (4). Commandement qui porte en nous l’écho de ces formules qui créent de la joie et de l’espoir, redonne de la confiance, mais qui réveillent aussi la douleur d’une faute, et d’un remord. Ai-je toujours répondu en mon âme et conscience au commandement divin: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» ? L’ai-je bien compris ? Ai-je bien compris aussi la parabole du bon Samaritain, la réponse narrative de Jésus à la question de l’identité de «mon prochain» ? Parabole si souvent relue, si souvent réinterprétée (5), porteuse d’un sens si profond qu’on éprouve toujours le sentiment qu’il nous échappe un peu. Mais peut-être, contrastant avec nos vies, avec nos actes, craint-on de trop bien la comprendre ?
Comment notre société qui exacerbe la culture de la primauté du moi et de l’individualisme, de la réussite personnelle aux dépens de l’autre, qui laisse perdurer les inégalités économiques et sociales, pourrait-elle encourager ou réaffirmer notre fidélité à l’un des fondements éthiques de la tradition judéo-chrétienne qui en réalité devrait la structurer (6) ? Nos nouveaux modes d’information et de communication semblent au contraire fructifier sur l’hostilité des échanges, le mépris de l’autre, l’indifférence à sa souffrance. Brisant l’unité profonde entre le rapport à soi et le rapport à l’autre. Affirmant presque – ou tout au moins laissant penser – que l’amour de soi et l’amour de l’autre s’opposent dans une sourde et vaine rivalité factice alors qu’ils se répondent ! Pièges de l’identitarisme et du communautarisme. Comme si l’anthropologie post-moderne s’élaborait à contre-pied de la vérité anthropologique et éthique de ce qui est beaucoup plus qu’un simple impératif moral ! Car aimer autrui, c’est se découvrir capable d’aimer véritablement. Donc d’être libre. Non de cette liberté si couramment confondue avec l’autonomie, mais puissance d’être inspirée par l’autre. C’est ce que nous voudrions analyser et réaffirmer en convoquant ici deux philosophes, Paul Ricœur et Emmanuel Levinas, dans la perspective philosophique contemporaine, peut-être pour mieux nous en convaincre nous-même…
Un éclairage phénoménologique
En affirmant que la liberté naît du rapport à l’autre, Paul Ricoeur entre ici en dialogue avec Emmanuel Levinas dont il s’inspire, mais dont il se distingue (7). Cependant nul doute que sa réflexion à propos de la relation à autrui trouve une résonance profonde dans la tradition biblique. «L’autre devient vraiment ‘toi’ quand il n’est pas un motif ou un obstacle à mes décisions, mais lorsqu’il m’enfante par le foyer même de ma décision, m’inspire par le cœur de ma liberté.» Formulation poétique qui ouvre la perspective éthique du commandement qu’elle rejoint avec force en mettant en évidence une structure de réciprocité fondatrice. Car ce commandement énonce l’unité indissociable du rapport à soi et du rapport à l’autre. Ce que nous interprétons parfois à contre sens en comprenant «Tu aimeras ton prochain autant que toi-même», est une interprétation privant le commandement de sa portée universelle. L’amour absolu de soi n’est pas un préalable, et il ne saurait témoigner d’une mesure fixe à reproduire. Par contre, le «comme toi-même» est une invitation à prendre soin de l’autre comme on peut le souhaiter pour soi-même. Ce souci de soi naturel appelle le même souci à l’égard de l’autre.
«Faites pour les autres tout ce que vous voudriez qu’ils fassent pour vous» (Matthieu 7,12).
«Que chacun de vous regarde, non ses propres intérêts, mais ceux des autres» (Philippiens 2,4).
Ceci précisé, Ricœur interroge surtout la manière dont mon prochain devient véritablement toi, c’est-à-dire un être reconnu dans sa singularité. Non lorsque je le réduis à un moyen (à un motif qui influencerait mes choix) ou à un obstacle qui serait une limite à ma volonté, mais lorsqu’il agit par sa présence comme une source intérieure de ma propre liberté. Mon prochain ne détermine pas ma décision de l’extérieur, il m’inspire de l’intérieur, il «m’enfante par le foyer même de ma décision» comme sujet libre, en suscitant en moi une réponse éthique.
Une visée éthique
Nous n’accorderons jamais assez d’importance à ce devenir toi. Cet instant nous semble crucial, l’autre n’étant plus un simple «objet de conscience», un motif que j’intégrerais dans le champ de mon intentionnalité, mais la présence à partir de laquelle ma propre subjectivité se découvre autrement. C’est un geste phénoménologique qui nous semble éclairer ce commandement, le révéler dans la profondeur cachée de ses enseignements. Mon prochain n’est pas celui qui s’ajouterait à mon existence; il la constitue de l’intérieur. La relation à l’autre ne découle pas d’un impératif moral, (ce qui n’exclut pas un axe moral); elle est avant tout une expérience originaire. C’est «une structure relationnelle» qui s’établit. L’autre qui m’inspire «par le cœur de ma liberté» devient la médiation qui transforme ma volonté en une volonté répondante et non toute-puissante. Ainsi, par un geste phénoménologique, le philosophe (protestant) révèle cette éthique de responsabilité qui est mienne dans ma rencontre avec mon prochain. Loin d’être annulée, ma liberté se révèle dans ma capacité à répondre à son appel qui me fait advenir à moi-même (8). Ricœur permet de voir dans ce commandement autant une règle morale qu’une structure symbolique fondamentale de la relation à autrui. Le «comme toi-même» ouvre une réciprocité spirituelle: aimer son prochain, c’est participer à une dynamique de reconnaissance mutuelle.
L’éthique du philosophe fonde la profondeur du commandement du Lévitique. Aimer son prochain comme soi-même n’est donc pas aimer l’autre à partir de l’amour de soi déjà constitué, mais tenir ensemble deux dimensions: l’amour de soi est juste parce qu’il est médiatisé par l’amour de l’autre. L’amour n’est pas un mouvement qui part de soi vers l’extérieur, mais c’est une co-naissance du soi et de l’autre dans la responsabilité et la réponse. Il est ainsi permis de relire le Lévitique dans la perspective de cette visée éthique.
De la proximité à la responsabilité
Mais on le sait, dans l’Ancien Testament, le mot rêa signifie celui qui est proche, qui fait partie de la communauté. Aimer son prochain, c’est donc respecter la justice à l’intérieur de son peuple. Mais déjà les prophètes ouvrent ce cercle restreint: Isaïe (1,16-17; 58,6-7) relie pureté religieuse et justice sociale. Amos (2,6-7; 5,21-24) dénonce l’injustice sociale comme un péché contre Dieu, Dieu qui refuse le culte lorsqu’il n’est pas accompagné de justice envers les pauvres (9). Osée (6,6; 12,7) pour qui l’amour fidèle de Dieu (et du prochain) vaut plus que les rites religieux. La conception communautaire semble non s’effacer mais s’ouvrir à une conception universelle. Et Jésus en fera la synthèse: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et ton prochain comme toi-même» (Matthieu 22,37-39). L’amour du prochain devient en effet le signe concret de l’alliance: servir le pauvre, l’étranger, la veuve et l’orphelin, c’est reconnaître Dieu dans ceux qu’il aime. Il unit l’amour de Dieu et celui des hommes. Du semblable dans la foi partagée, du compatriote, le prochain ou celui qui est digne de l’être, devient tout être en détresse selon une fraternité universelle élargie à l’humanité.
Mais Jésus fait beaucoup plus qu’une synthèse, il renverse la perspective en Luc 10, 27-35. Jésus raconte l’histoire d’un homme blessé par des brigands. Il est ignoré dans sa détresse par un prêtre, puis par un lévite. Seul un Samaritain – étranger méprisé par les juifs –, «rempli de compassion», lui portera secours. À la question initiale du professeur de la loi «Et qui est mon prochain ?», Jésus retourne finalement la question: «Lequel des trois s’est montré le prochain de l’homme blessé ?». Aucune autre réponse n’est dès lors possible que celle du légiste, pris au piège qu’il voulait tendre: «C’est celui qui a agi avec bonté envers lui». Ainsi la parabole du Bon Samaritain déplace-t-elle radicalement la question. Et le prochain, sans trahir l’éthique ricœurienne, n’est pas celui que je désigne mais celui que je deviens en agissant en responsabilité, en me rendant proche de celui qui souffre et que je ne peux ignorer. Cette conversion du regard et du cœur n’est pas étrangère à la pensée de Ricœur (10) qui, on l’a vu, l’approfondit. «Va agir de la même manière, toi aussi» n’est pas une injonction morale, comme on l’interprète parfois, mais une invitation à la liberté aimante. À cette «liberté humaine» qui «ne se réduit pas à un pouvoir de choix isolé» mais qui «se réalise dans la réciprocité et l’ouverture à l’autre» (11).
La transcendance du prochain
«Je ne peux pas voir vers quelqu’un ‘les mains vides’. L’appel à l’aide qui émane d’autrui exige que je renonce à mon existence égoïste et me sacrifie pour lui.» La lecture de la parabole dans les perspectives comparées de Ricœur et Levinas éclaire le dialogue précédemment évoqué entre les deux philosophes en confrontant leurs interprétations. Cette citation de Lévinas interprète cette parabole sous l’angle d’une «éthique de la responsabilité infinie». Rompant avec la conception du sujet autonome propre à la civilisation occidentale, le philosophe fait de la relation à autrui le fondement de toute morale. Voir autrui souffrir, c’est ne plus pouvoir rester dans l’indifférence. Comment ne pas penser à «l’épiphanie du visage» d’autrui, cette altérité qui me parle et qui m’appelle ? Visage nu, vulnérable, qui m’adresse cette demande silencieuse: «Ne me tue pas». Reconnais ma dignité et ma souffrance. Le blessé de la parabole – dont l’identité est tue – incarne cette nudité du visage. Dépouillé, impuissant, livré à la violence du monde. Le prêtre et le lévite ne perçoivent qu’un homme sans vraiment le voir car ils ne reconnaissent pas en lui un autrui, un «prochain». Leur regard est indifférent, stérile et leurs mains sont vides. Le Samaritain, lui, s’arrête, atteint par la détresse de l’autre. Mais cette atteinte est beaucoup plus qu’une émotion. C’est une obligation éthique, car l’autre me commande avant même que je choisisse de lui répondre, c’est-à-dire de rompre avec la logique du moi.
La transcendance de la responsabilité. Le «Bien au-delà de l’être»
«L’appel à l’aide qui émane d’autrui exige que je renonce à mon existence égoïste», écrit Levinas. Il parle aussi du sacrifice de soi pour autrui. Ce renoncement à la logique instinctive du moi se manifeste dans la parabole. Le Samaritain s’arrête, interrompt son voyage sur la route du sang, suspend ses projets, ses affaires personnelles, renonce à ses intérêts immédiats pour se rendre disponible à l’homme blessé. Ouverture qui est sortie de soi, désintéressement (12). Alors que le prêtre et le lévite demeurent prisonniers d’eux-mêmes, prisonniers d’une logique du devoir ou d’une pure conformité religieuse (13). Comment dès lors pourraient-ils accueillir le visage du blessé ? Sans normes et sans calcul, la responsabilité du Samaritain naît avant la loi, avant toute réflexion morale. Responsabilité immédiate, spontanée, irréfléchie, inconditionnelle. Il nous semble incarner la thèse levinassienne pour qui l’éthique précède le droit et la raison. Ce que nous pourrions aujourd’hui saluer comme un acte héroïque est en réalité l’abandon de la souveraineté du moi sans attente de retour. «Je suis responsable d’autrui sans attendre la réciprocité, même pour ce que je n’ai pas fait.» Sacrifice de soi dans la concrétude de l’acte: le Samaritain panse les plaies du blessé, le charge sur sa monture, le confie à un aubergiste, paie et promet de revenir. Transcendance éthique, dépassement de la simple humanité, ce que Lévinas nomme «le Bien au-delà de l’être». Le Samaritain ne se pose jamais la question de la définition de son «prochain»; par son geste, il devient le «prochain».
Humanisation du divin, spiritualisation de l’humain
En convoquant, dans cette modeste (et bien incomplète) communication, Paul Ricœur et Emmanuel Levinas, en mêlant leurs voix et en confrontant leurs analyses, dans leurs différences comme dans leurs profondes convergences, il nous semble avoir préféré à l’exégèse traditionnelle, bien connue, le versant de la théologie pratique, qui «cherche à dire la portée et les effets du texte dans notre situation actuelle» (14). La pensée des deux philosophes (15) éclaire le commandement biblique en même temps qu’elle s’inscrit dans sa filiation. Ils nous aident à la repenser aux filtres complémentaires de l’herméneutique, de la phénoménologie et de l’éthique. Là où la tradition chrétienne a pu interpréter l’amour du «prochain» comme un devoir de charité fondé sur la foi, une compréhension existentielle nous fait mesurer combien aimer autrui est découvrir en lui le fondement de ma liberté et de mon humanité. Ricœur unit la radicalité de Levinas et la sagesse du Lévitique en une herméneutique du soi responsable. Aimer le prochain, c’est reconnaître en lui la transcendance levinassienne, maintenir avec lui la réciprocité constitutive du toi ricoeurien, et, ici et maintenant, agir dans des cadres collectifs où cet amour devient justice. Fidèle à Ricœur, je pense intimement que la foi n’est jamais séparée de la raison. Comme la religion n’est jamais séparée de la justice universelle et incarnée. Ainsi repensée, ou reformulée, dans les discours croisés des deux philosophes, la parabole du bon Samaritain fonde une spiritualité de la relation. La transcendance de l’un – Dieu parle à travers le visage d’autrui – s’intègre à la démarche phénoménologique de l’autre dans une herméneutique de la médiation: aimer et être le prochain c’est interpréter le divin qui habite toute relation humaine.
Dans un monde où la tentation de l’isolement, de la compétition, du pouvoir technique réduit tragiquement les relations humaines à de simples échanges fonctionnels, à l’orée d’une civilisation computationnelle, à l’heure post-moderne de l’individualisme numérique, des réseaux sociaux, du rejet de l’étranger vécu comme une menace, des solitudes muettes et sans recours, la question revient sans cesse avec une force et une urgence nouvelles: qu’est-ce qu’une liberté capable de se laisser inspirer par autrui ?
Alors réaffirmons, comme un contre-point salutaire: l’homme n’est libre qu’en devenant responsable. Et il n’est responsable que s’il sait reconnaître dans l’appel de l’Autre la trace du divin en même temps que le centre vivant de son humanité. C’est peut-être cela l’«humanisme spirituel» (Ricœur), qui, au fond, n’est guère dissociable, selon nous, de la «sainteté du quotidien» (Levinas).
Bibliographie indicative et commentée
Rémi Brague, La morale remise à sa place, Gallimard (L’esprit de la cité), 2024
André Gounelle, Parabole du Bon Samaritain. André Gounelle (voir note 5) montre que la parabole offre de multiples interprétations, grâce à la figure de l’homme blessé, sans identité (lecture allégorique traditionnelle, lecture éthique et lecture historique). Son analyse actualise le message de la parabole.
Jacques Hochmann, Une histoire de l’empathie, Odile Jacob, 2012. L’anthropologie ricœurienne de la relation trouve un prolongement empirique dans les travaux contemporains sur l’empathie et la sympathie. En particulier chez Jacques Hochmann, qui retrace l’évolution de ces notions. L’empathie, au sens fort, est la compréhension intérieure des émotions et des intentions d’autrui, sans identification fusionnelle. Elle suppose une distance: je ne deviens pas l’autre, mais je le comprends en lui. La sympathie, en revanche, est une communauté affective, un partage émotionnel: je ressens avec l’autre. Ricœur ne parle pas de ces concepts dans les mêmes termes, mais sa pensée en traduit la portée existentielle. Lorsque l’autre m’inspire, il éveille en moi un mouvement de compréhension et de participation: je ressens ce qu’il éprouve (sympathie), je le comprends depuis lui (empathie), et, par cette double médiation, je découvre ma propre capacité d’aimer et de répondre. Ainsi, ce que Hochmann décrit comme processus psychologique, Ricœur le pense comme structure éthique: l’autre, en m’affectant, ne se contente pas de susciter un sentiment — il m’appelle à une décision. L’empathie devient alors la condition affective de la sollicitude, et la sympathie son expression concrète: elles traduisent dans le registre du sensible ce que Ricœur pense dans le registre du spirituel.
Emmanuel Levinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, Martinus Nijhoff, 1961 (puis Le Livre de Poche (Biblio Essais), 1990).
Emmanuel Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974.
Pascal Reynaert, Ricœur et Levinas: la reconnaissance du visage. Ce texte n’est pas consultable sur internet. L’auteur cherche à mettre en dialogue la philosophie de Paul Ricœur et celle d’Emmanuel Levinas autour du motif de la reconnaissance, comme acte éthique fondamental. Comment l’acte de reconnaître autrui s’articule-t-il avec l’expérience du visage qui excède toute reconnaissance ? La reconnaissance du visage devient ainsi le cœur éthique d’une philosophie du soi qui ne commence plus par le je, mais par l’autre.
Paul Ricœur, Philosophie de la volonté I: Le volontaire et l’involontaire. Aubier (Philosophie de l’esprit), 1950.
Paul Ricœur, Philosophie de la volonté II: Finitude et culpabilité I, L’homme faillible, Aubier (Philosophie de l’esprit), 1960.
Paul Ricœur, Temps et récit, 3 volumes, Seuil (L’ordre philosophique), 1983–1985 .
Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil (L’ordre philosophique), 1990.
Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard (Bibliothèque des idées), 1943 (Tel, 1976)..
Illustration: Le bon samaritain (Max Liebermann, Berlin, 1910, Muséum Georg Schäfer, Schweinfurt, photo Tilman2007).
(1) Paul Ricœur, Philosophie de la volonté I: Le volontaire et l’involontaire, Aubier (Philosophie de l’esprit), 1950. Cité en exergue par Jacques Hochmann, Une histoire de l’empathie, Odile Jacob, 2012.
(2) Emmanuel Levinas, Totalité et infini, Essai sur l’extériorité, Le Livre de Poche (Biblio Essais), 1990.
(3) Cité par le pasteur François Dietz, Qui est mon prochain ? Prédication sur la parabole du bon samaritain, (Église protestante unie de Grenoble, 14 juillet 2019). «Ce que tu n’aimes pas qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui. C’est toute la Loi; le reste n’est que commentaire: va et apprends-le.»
(4) Pour Hochmann, l’empathie est compréhension de l’autre sans se confondre à lui; la sympathie est la participation aux états affectifs de l’autre, à sa souffrance, ou à sa joie.
(5) Voir André Gounelle, Parabole du Bon Samaritain. André Gounelle souligne la polysémie de la parabole et son ouverture à diverses interprétations. Elle offre une multitude de lectures, en fonction des époques, qui enrichissent sa compréhension et ses implications éthiques et théologiques. On pourra lire aussi l’interprétation qu’en donne le pasteur Roland Poupin, sur son blog (Débiteurs insolvables, 9 juillet 2025). Il montre que le geste du bon Samaritain n’est pas un don gratuit, mais la création d’une dette impossible à rembourser. Jésus nous invite ainsi à reconnaître notre notre propre condition «d’endettés» parce que nous sommes les blessés secourus par le vrai Samaritain, le Christ. À cette dette infinie, notre seule réponse est la reconnaissance.
(6) «Sache que, dans les derniers jours, il y aura des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, amis de l’argent, fanfarons, hautains, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, irréligieux, insensibles, déloyaux, calomniateurs, intempérants, cruels, ennemis des gens de bien, traîtres, emportés, enflés d’orgueil, aimant le plaisir plus que Dieu, ayant l’apparence de la piété, mais reniant ce qui en fait la force. Éloigne-toi de ces gens-là» (2 Timothée 3,1-5, Bible second, 2010). Signes avant-coureurs de la fin d’une époque, dont Paul avertit Thimothée, testament spirituel prophétique, mais surtout derniers temps d’une période où l’âme traverse une crise spirituelle avant une résurrection intérieure. Mais comment ne pas lire l’anticipation saisissante de notre monde moderne ? À cela j’ajouterai une question posée par Levinas: «Il est extrêmement important de savoir si la société au sens courant du terme est le résultat d’une limitation du principe que l’homme est un loup pour l’homme, ou si au contraire elle résulte de la limitation du principe que l’homme est pour l’homme» (Emmanuel Levinas, Éthique et infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Fayard, 1982, pp. 79-80-82 et 85-86).
(7) Ricœur parle quelque part de «débats amoureux».
(8) C’est le concept de réversibilité de soi et de l’autre qui traverse l’éthique ricœurienne. Je ne peux me comprendre que dans et par la relation qui me lie à autrui. La compréhension du soi passe par l’interprétation de la relation éthique qui le relie à l’autre.
(9) «Je hais vos fêtes, je ne prends pas plaisir à vos assemblées… Mais que le droit jaillisse comme les eaux, et la justice comme un torrent intarissable !»
(10) Elle l’inspire sans aucun doute.
(11) Paul Ricœur, Soi même comme un autre, Seuil, 1990, p.322.
(12) Définition du CNRTL: «Attitude par laquelle une personne néglige ses intérêts personnels pour servir ceux d’autrui».
(13) Sans nous livrer à une analyse sartrienne de la parabole, le prêtre et le lévite ont un comportement de «mauvaise foi» (!). Ils fuient la liberté et la responsabilité en se mentant à eux-mêmes. Ils justifient leur indifférence par des raisons sociales, religieuses et pratiques. Comme ceux à qui vous demandez service et qui vous répondent: «Ce n’est pas mon problème !». «Il s’agit d’une part de me protéger contre le danger que me fait courir mon être-dehors-dans-la-liberté-d’Autrui (…) pour faire enfin que je sois fondement de moi-même» (Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard, 1963, p.450, première édition, 1943). N’oublions pas que pour Sartre, autrui me vole ma liberté, alors que chez Ricœur, autrui me fait naître à moi-même.
(14) «L’exégèse cherche à dire le sens du texte et sa signification dans un contexte historique donné. Le théologien pratique cherche à dire la portée et les effets du texte dans notre situation actuelle. Il s’appuiera donc sur les résultats de l’exégèse, mais il risquera une interprétation du texte pour le monde actuel» Félix Moser, La théologie pratique et ses méthodes, Introduction, ETR, 93 (2018/4, La théologie pratique, Un guide méthodologique), pp.521-527.
(15) Nous n’ignorons pas qu’à la radicalité de Levinas (la responsabilité est l’essence du sujet), Ricœur répond par la réciprocité incarnée. Asymétrie pour l’un, symétrie pour l’autre, afin de parler clairement. Levinas dit: je suis responsable avant d’être libre. Ricœur, toujours à la recherche de l’équilibre, dit que je suis libre d’être responsable.
