Politique française: un an après la dissolution, une épreuve apparemment surmontée - Forum protestant

Politique française: un an après la dissolution, une épreuve apparemment surmontée

«Rien d’enthousiasmant, rien de dynamique» mais, profitant de l’absence de majorité, «un espace s’est ouvert qui permet aux députés et sénateurs de discuter sans dépendre du Président de la République et même du Premier ministre». Pour l’historien Nicolas Rousselier (interrogé par Frédérick Casadesus), cette nouveauté sous la Ve République pourrait pousser à «des rassemblements de circonstance» sur «des questions plus politiques» que les lois sur la fin de vie.

Entretien publié sur Le blog de Frédérick Casadesus.

 

 

Un an déjà ? Presque un an. Du côté de l’Elysée, peut-être souffle-t-on. Pas les bougies de ce premier anniversaire, il ne faut rien exagérer, mais de réconfort, en constatant la surprenante solidité de la vie politique intérieure en dépit d’une dissolution mal comprise et de l’élection d’une Assemblée nationale sans majorité claire. Du côté de Matignon, malgré les coups de semonce et les menaces, la stratégie du dos rond semble apporter quelques fruits. Rien de grandiose, tout cela reste fragile et chacun devine qu’à la moindre fièvre le gouvernement pourrait être censuré, comme il y a quelques mois celui conduit par Michel Barnier. Mais pour l’instant, l’attelage tient la route. Nicolas Roussellier, historien, enseignant à Sciences Po et à Polytechnique, livre son analyse à Regards protestants.

 

Une réhabilitation du Parlement, même modeste

«La France traverse une situation qui n’a rien d’enthousiasmant, rien de dynamique, admet-il. Tout comme dans une épreuve de curling, les représentants du pouvoir exécutif balaient devant chaque événement pour que leur pierre avance. Les pessimistes affirmeront que notre pays n’est porté par aucun grand projet. Les optimistes rétorqueront ont que nous avons évité le chaos.»

Ce Parlement dont les divisions profondes – y compris au Sénat, ne l’oublions pas – devaient, aux yeux de tous, engendrer des blocages et, pourquoi pas une élection présidentielle anticipée, semble au contraire avoir trouvé le moyen de fonctionner.

«Je voudrais insister sur une expression, celle de ‘travail parlementaire autonome’, nous déclare Nicolas Roussellier. Un espace s’est ouvert qui permet aux députés et sénateurs de discuter sans dépendre du Président de la République et même du Premier ministre. Ce travail peut résulter d’une proposition de loi, d’un rapport, d’une commission d’enquête. En regardant la situation de façon positive, il est permis de considérer qu’il y a non pas une complète renaissance, mais une réhabilitation du Parlement, même modeste. Il n’y a plus de gouvernement de type ‘Ve république’, au sens où l’équipage gouvernemental embarque une majorité qui embarque à son tour une partie de l’opinion vers un vaste programme de réformes. C’est une évidence. Mais la France est loin d’être paralysée.»

Faut-il encore le dire ? Les institutions de la Ve République ne sont pas présidentielles, mais semi-présidentielles et semi-parlementaires.

Michel Debré, juriste devenu garde des Sceaux du général de Gaulle – avant d’être nommé premier ministre – avait tenu à préserver certains droits du Parlement. Mieux encore que pendant la cohabitation, coexistence très particulière issue de la confrontation de deux légitimités, le blocage apparent qui est le nôtre autorise les élus de la nation à travailler plus librement.

«Si l’on regarde ce qui s’est passé pour la loi sur la fin de vie, avec la liberté de vote accordée par les présidents de groupe, on est en droit d’imaginer qu’à l’avenir des rassemblements de circonstance conduisent des élus de toutes les obédiences à se mettre d’accord sur des questions plus politiques, estime Nicolas Roussellier. Je pense par exemple à une possible révision de la réforme des retraites ou d’autres sujets.»

 

La popularité d’Emmanuel Macron sur la scène internationale

Dans ce dispositif, on voit bien que le Président de la République ne contrôle plus grand-chose: Gabriel Attal, qui préside aux destinées du mouvement Renaissance, prépare sa candidature pour 2027 et les autres candidats potentiels organisent déjà leur campagne. Est-ce à dire qu’il soit sorti du jeu ? Pas du tout. Emmanuel Macron multiplie les initiatives sur la scène internationale et bénéficie d’une vraie popularité dans le domaine de la politique étrangère.

Il faut dire que la réélection de Donald Trump encourage à relativiser nos problèmes: chaque jour, nous nous réveillons au son des folies du président américain. Cela joue sur la perception que nous pouvons avoir de nos querelles. Autrement dit, la situation politique française, catastrophique aux yeux du monde il y a douze mois, paraît finalement moins grave.

 

L’échéance de 2027

Cela signifie-t-il que nous avancions tout droit, tranquilles comme Baptiste, vers l’échéance de 2027 ?

«La logique raisonnable voudrait que ce soit le cas, François Bayrou gérant les urgences du pays jusqu’à la prochaine élection présidentielle, admet Nicolas Roussellier. Mais les accidents de la vie politique ou judiciaire – je pense au jugement en appel de Marine Le Pen – pourraient provoquer de nouvelles secousses, une crise majeure. N’oublions pas que rien n’oblige le Président de la République à dissoudre l’Assemblée si jamais une majorité de députés mettait en minorité le Premier ministre. Aussi bien, ceux qui parient sur une radicalisation de notre vie publique pourraient en être pour leurs frais.»

En politique, comme au jeu d’échecs, il faut savoir tenir la position.

 

Illustration: François Bayrou répondant à Gabriel Attal lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale le 24 juin 2025 (Assemblée nationale).

À lire: Nicolas Roussellier, La force de gouverner, Le pouvoir exécutif en France (XIXe-XXIe siècles), Gallimard (NRF Essais), 2015, 848 pages, 35 €.

Commentaires sur "Politique française: un an après la dissolution, une épreuve apparemment surmontée"

  • Jean-Paul Sanfourche

    Sans être un spécialiste de l’histoire politique, il me semble que le professeur Nicolas Rousselier fait ici une lecture prudente, nuancée mais conciliante de la crise institutionnelle. On peut comprendre, d’un point de vue résolument optimiste, que la dissolution ait ouvert un «espace de travail parlementaire autonome» et que ce cela soit considéré comme une chance pour la démocratie. Mais cette dissolution n’a-t-elle pas été souvent analysée comme une manœuvre tactique irréfléchie que l’on pourrait interpréter, dans et malgré un contexte politique difficile, comme une fuite en avant du pouvoir exécutif ? Ce qui a conduit à une fragilisation du pouvoir exécutif. D’où la lenteur de l’action gouvernementale, perçue comme confuse et beaucoup trop dépendante d’alliances instables de circonstances. Malgré la présence du Président sur la scène internationale, ce climat d’incertitude n’a-t-il pas écorné la crédibilité de la France à l’étranger ? La liberté des débats parlementaires n’a pas permis, compte tenu du caractère pour le moins chaotique des alliances provisoires, la réalisation de projets politiques de fond. (Je ne parle pas des débats sociétaux). Quelles lois d’envergure depuis la dissolution ? Soit les grands sujets sont gelés soit ils sont traités au coup par coup hors de toute vision d’avenir. Et l’instabilité me semble avoir un coût autant sur le plan démocratique que sur le plan social. J’en veux pour preuve la défiance croissante de l’opinion publique, avec les graves dérives politiques que celle-ci peut entraîner. Est-ce qu’une véritable renaissance parlementaire n’exigerait pas une véritable réforme institutionnelle du régime semi-présidentiel (qui reste déséquilibré au profit de l’exécutif) ? La «stabilité» actuelle est très fragile et le fait que le gouvernement ne soit pas (encore) tombé n’est pas la preuve d’une bonne santé démocratique. Mais témoigne d’une forme d’inertie que certains qualifieront de «stratégique», qui révèle un enlisement évident avant une crise que les partis redoutent.
    Le renvoi à la «cohabitation» est légitime. Mais il faut aussi rappeler que les cohabitations passées reposaient sur des majorités solides, identifiées et non sur d’imprévisibles blocs à géométrie variable. Je crois que personne n’oublie que le Président est co-responsable de ce climat de confusion et du blocage institutionnel. Enfin, on peut douter que le chaos international relativise nos problèmes nationaux. Peut-être masque-t-il les urgences sociales ? Assurément il accentue l’inquiétant décalage entre le sommet de l’État et les citoyens. En mettant en lumière ces dynamiques parlementaires nouvelles, je pense que le professeur Rousselier n’ignore pas les effets délétères de ce coup de poker imprudent qu’est la dissolution. Qu’il les minimise par une analyse équilibrée, par souci d’objectivité est compréhensible. Mais quitte à m’inscrire dans le camp des «pessimistes», je m’interroge. Ne pêchons-nous pas trop souvent par excès de modération et de relativisme ? Cette situation (affaiblissement du pouvoir exécutif, instabilité chronique, absence de réforme) n’est-elle pas très préoccupante pour notre démocratie ?

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