Jupiter n’est pas joueur
Décidément, Jupiter n’est pas Dieu (bien qu’il semble le croire). Pour Stéphane Lavignotte, en n’inventant rien dans la situation actuelle, le président Macron se rapproche de la figure de Jupiter, garant de l’immobilité du monde, et s’éloigne du Dieu de l’Ancien Testament qui tente des coups, jette des dés en permanence.
Texte publié sur le blog de Stéphane Lavignotte.
(En introduction de ce texte, je voudrais dire que je pense infiniment plus important ce qui se passe actuellement en Géorgie, Roumanie, Ukraine, au Congo, et bien sûr en Palestine et Syrie que ce sur quoi je vais développer maintenant. Mais n’étant pas spécialiste des situations citées je préfère ne pas écrire dessus.)
On a beaucoup dit que Macron, c’était le Nouveau monde. Mais finalement, il y avait beaucoup plus de créativité dans l’ancien, quand les présidents étaient joueurs. De Gaulle: on pourrait citer ses différents référendums, la dissolution après mai 68. Chirac ou Mitterrand tentaient bien davantage des coups. Des coups, ce sont des manières de jeter et de relancer les dès, de bousculer le cadre quand celui-ci ne permet plus de solution. J’utilise à dessein cette expression de jeter les dés. Comme l’a expliqué Jacques Rancière pour défendre l’idée du choix des gouvernants par tirage au sort dans la Grèce antique: le jeté de dés, c’est l’idée que le hasard (et les dieux à travers lui) désignerait les meilleurs. En terme calviniens, on pourrait parler de la Providence: comment Dieu intervient discrètement dans ce monde là où on laisse de la place pour l’inattendu.
Toujours plus de la même chose
Or, selon les dernières informations, Macron pourrait nommer Bayrou ou Lecornu. Pour reprendre une expression critique sur certaines manières de faire de l’aide aux devoirs pour des enfants qui ne supportent pas l’école, c’est une manière de continuer toujours plus de la même chose alors qu’on a a constaté que ça ne marchait pas.
Macron passe finalement son temps à, pour sortir de l’impasse de la dissolution qu’il a créée lui-même, désigner des clones de sa personne, de différents âges: plus âgés comme Barnier ou Bayrou, plus jeune pour un Lecornu. Cela n’a pas marché avec Barnier ? Allez encore plus de la même chose…
Pas joueur
Il n’est pas joueur, il ne relance pas les dés.
Pourquoi n’essaie t-il pas de faire ce qui se fait dans tous les pays européens ?
Nommer un premier ministre issu de l’alliance la plus importante à l’Assemblée nationale, le Nouveau front populaire et bien sûr Lucie Castets ? Elle n’a pas de majorité ? Eh bien on verra bien. Nommer une personnalité de gauche ou écologiste (et même si je ne soutiendrai jamais Bernard Cazeneuve qui a le sang de Rémi Fraisse sur les mains), c’est un jeté de dés.
Proposer Matignon à Marine Le Pen pour l’obliger à le refuser et montrer l’hypocrisie de sa volonté de gouverner et de respectabilité ? Montrer ainsi qu’elle n’est prête à prendre le pouvoir que quand elle a le pouvoir absolu, ce qui montrera bien son caractère fasciste: c’est-à-dire le pouvoir pour moi seul.
Nommer des facilitateurs, qui comme en Belgique, cherchent une majorité ? Cette personnalités nommée à Matignon chercherait un accord de gouvernement. Je ne crois absolument pas à la réussite de cette hypothèse car il me semble – et j’espère – impossible que soit signé un texte à la fois par un Wauquiez ou un Retailleau largement fascisés et, de l’autre côté à gauche, par les écologistes sans parler de La France Insoumise. Mais c’est un des coups de dés possible.
Nommer un premier ministre qui chercherait un accord de non-censure ? Les socialistes l’ont avancé avec beaucoup d’intelligence et d’imagination. Ce serait l’occasion au passage de voir s’ils sont revenus réellement à gauche ou s’ils sont encore dans les trahisons du tournant de la rigueur de 1983 et de l’effondrement moral et politique du hollandisme.
Jupiter n’est pas Yahvé
En ce sens, Macron Jupiter n’est pas Dieu. Il n’est pas le Yahvé de l’Ancien Testament.
Macron n’est pas joueur, alors que ce qui me frappe, c’est combien le Dieu de l’Ancien testament tente en permanence des trucs. Il n’est pas bon que l’humain soit seul ? Il commence par créer les animaux, mais l’humain n’y trouvant pas un vis-à-vis qui lui soit un aide, Dieu crée le couple. Il crée une humanité mais celle-ci se vautre dans la violence ? Il déclenche le déluge et redémarre tout à zéro.
Mais après cette dissolution radicale, il promet à Noé qu’il ne recommencera plus, un accord de non-dissolution, à condition que l’humanité ne vote pas la censure. Et je pourrais multiplier les exemples.
Il y a derrière ces épisodes mythiques et assez baroques une idée importante: celle de l’alliance, du contrat, que les puritains traduisirent par le terme de covenant, que l’on signe, que l’on respecte ou pas, que l’on peut rompre, et resigner avec d’autres ou le même.
Mais d’abord oui, Jupiter n’est pas Dieu, car si le second tente des coups, le premier a l’air de ne rien essayer.
Jupiter est bien jupitérien
Mais il est bien Jupiter. Celui-ci est le roi des dieux, le dieu d’une vision théologique du monde où l’ordre du monde doit être le plus stable possible et où toute perturbation, y compris sociale, politique ou morale, est un crise de lèse-majesté car elle bouscule l’ordre cosmique et immuable. Le Dieu de l’Ancien Testament, et c’est sans doute une des raisons pour laquelle une grande partie des leaders socialistes de Marx à Lénine et de Blum à Trotski étaient juifs, est un Dieu joueur, qui tente des coups, qui bouscule le monde, qui fait du nouveau en permanence.
Macron est bien sûr Jupiter et il est en train de le montrer en ne tentant absolument rien que la répétition du même.
Bref, il y a énormément de coup de dés possibles. Jupiter sera-t-il aussi joueur que Dieu ? Nous aurons en tout cas la réponse à une question: et si finalement, le Nouveau monde n’était que le chemin le plus court entre l’Ancien monde et l’Ancien monde, le talent, la culture, et l’esprit joueur en moins ?
Illustration: Emmanuel Macron lors de son allocution du 5 décembre 2024 après la censure du gouvernement Barnier.