«Onze portes à franchir»: le témoignage d’un aumônier de prison
Et au bout des onze portes, la cellule. Mais aussi la salle cultuelle où «c’est un tout autre climat, une autre ambiance»: le partage des maux, des mots, des attentes et des peurs, et puis celui des textes bibliques qui permettent un autre «regard porté sur soi» et sur les autres.
Texte publié le 21 avril sur le blog de l’Aumônerie protestante des prisons.
Onze portes sont à franchir pour atteindre la cellule de cette maison d’arrêt. Quatre détenus la partagent, deux matelas sont au sol. On me propose l’unique chaise ou parfois un coin de lit. La chaleur est étouffante. Les bruits et cris à l’extérieur imposent de parler fort. L’environnement ne se prête pas aux discussions, mais les quelques instants partagés sont les bienvenus.
Heureusement il y a la salle cultuelle, mise à disposition une fois par semaine. C’est un tout autre climat, une autre ambiance. Chacun s’inscrit librement. Le décor est neutre, la salle est spacieuse, à l’écart des bruits, climatisée, on y respire… C’est comme une grande bouffée d’air pure que l’on prend entre deux apnées. Ce lieu garantit la confidentialité et permet la liberté des échanges. Un petit groupe de détenus, joyeux d’être au rendez-vous, arrive Bible en main pour certains. Une table, des chaises pour tous, une guitare, et le silence enfin retrouvé. Le silence permet de s’entendre, s’écouter, s’exprimer: se respecter.
Les maux sont alors partagés: ceux de la surpopulation en cellule, ceux de l’inquiétude pour la famille, pour les enfants, ceux de la peur (paradoxale) de l’insécurité à l’extérieur. L’attente aussi est partagée. Celle de rencontrer un avocat, celle de recevoir une visite, d’avoir des nouvelles de sa famille, d’avoir un jugement rapidement…
Puis vient le moment de quelques chants et la lecture de la Bible. La lecture est parfois hésitante, mais quelle joie de découvrir ou redécouvrir un texte qui parle, qui nous parle. Le texte aide à mettre des mots sur les maux.
«Je veux changer»
Aujourd’hui le thème proposé est celui des promesses de Dieu. Un petit tour de table permet à chacun d’exprimer ce qu’évoque le mot promesse.
«Un jour j’ai promis un vélo à mon fils pour tous les Noël. Il m’a demandé de lui promettre de ne plus consommer de l’alcool: je n’ai pas réussi à le faire… c’était trop dur.»
Nous cheminons donc vers ce nouveau thème, celui des addictions: leurs conséquences, comment en parler… Et l’on découvre qu’un texte en parle.
«Tu vas te croire en pleine mer, couché à l’arrière du bateau. Tu penseras: ‘On m’a frappé, mais je n’ai pas mal! On m’a battu, mais je n’ai rien senti! Vite! Je veux me réveiller pour demander encore à boire!» (Proverbes 23,34-35)
Chacun s’exprime, se reconnait, se confie. Ce jeune homme de 20 ans, incarcéré pour la deuxième fois, veut rester à la fin. Il se livre:
«Ma mère m’a rejeté à l’âge de 8 ans, je n’allais plus à l’école. J’ai été recueilli par une bande de mon village. Nous vivions ensemble, de vols et d’agressions. Je consomme de l’alcool depuis l’âge de 10 ans… je veux changer».
La lecture aide aussi à mettre des mots sur le sens de l’attente. Les personnages font écho à chacun. Comme celui de Jonas où chacun a réalisé ce jour là, que dans l’abime le plus profond peut jaillir l’espérance.
«J’étais descendu à la base des montagnes, le monde des morts fermait pour toujours ses verrous sur moi, mais toi, Seigneur mon Dieu, tu m’as fait remonter vivant du gouffre.» (Jonas 2,7)
Vient le temps de temps de prier, se saluer et s’encourager. Ce fut le temps d’une rencontre apaisée, d’une lecture comme dans un miroir, d’un regard porté sur soi, un regard porté vers une espérance.
Illustration: salle cultuelle à la maison d’arrêt de Colmar (photo Gzen92, CC BY-SA 4.0).