France, terre d’accueil?
«À chaque évènement, les surenchères vont bon train» pour dissuader les étrangers de rentrer ou rester en France. Résultat, «cette aura de terre de liberté» qu’avait la France a bien disparu derrière «l’imbroglio de nos textes et de nos services administratifs».
Texte publié sur Blog pop.
Lorsqu’au moment de la révolution de 1789, la France reconnut le statut de citoyen aux protestants et aux Juifs longtemps persécutés par le pouvoir royal, la nouvelle se répandit en Europe comme une traînée de poudre et de nombreuses personnes en danger dans leur propre pays, en particulier des Juifs d’Europe de l’Est, de Pologne notamment, vinrent chercher en France la paix et la sécurité qui leur étaient refusées chez elles (1).
Au 19e siècle, les choses se compliquèrent un peu avec le Code Napoléon puisqu’il faudra bientôt une autorisation de travail voire de séjour pour les étrangers. La France a toutefois conservé depuis plus de deux siècles cette aura de terre de liberté que recherchent de nombreuses personnes persécutées ou en détresse.
Cette aura en a pourtant pris un sacré coup dans l’aile ces dernières années tant les politiques de fermeture des frontières, poussées par l’extrême-droite, ont été renforcées. Cela prend généralement la forme de modifications de l’ordonnance de 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Elle été modifiée un nombre impressionnant de fois, comme si notre pays ne parvenait pas à définir clairement et durablement sa politique.
Il faut dire qu’à chaque évènement, les surenchères vont bon train, accusant le gouvernement en place d’être trop laxiste, de ne pas en faire suffisamment.
On vient de le voir encore après l’épouvantable meurtre de la petite Lola. Une amie haïtienne en visite en France après un séjour aux USA me disait qu’il lui avait été plus simple d’obtenir une autorisation pour les États-Unis que pour la France où «il manquait toujours un papier».
Que dirions-nous si, pour aller en vacances en Tunisie ou au Maroc, il nous fallait un visa de tourisme et que pour l’obtenir, il fallait s’y prendre très longtemps à l’avance, justifier notre déplacement, nos ressources, notre adresse sur place… auprès d’une administration tatillonne à qui il manquerait toujours un papier?
Un ami étranger, étudiant en théologie à Paris, qui vient de terminer l’écriture de sa thèse de doctorat, cherche désespérément depuis plus de deux ans à faire venir auprès de lui sa femme et son fils qui le connaît à peine. Il n’obtient que des refus de l’administration! En violation de la Convention des droits de l’enfant pourtant signée par la France (2).
Aujourd’hui, la majorité des réfugiés d’Ukraine ne cherche pas à s’établir en France dont la réputation d’accueil n’est pas la meilleure (3). Et pendant ce temps, combien sont-ils à se débattre dans l’imbroglio de nos textes et de nos services administratifs? Combien sont-ils les ni-ni, ni régularisables, ni expulsables! Condamnés à vivre, à survivre dans des conditions précaires et dépendre bien souvent de la charité et de l’aide des associations! Disons-le tout net: quoiqu’en disent de nombreux médias et politiciens, la façon dont notre pays traite les étrangers est aujourd’hui un scandale et une honte! La France n’est plus le pays des droits de l’Homme!
Sylvain Cuzent est président de la Mission populaire évangélique de France et secrétaire de la Frat’Aire du Pays de Montbéliard.
Illustration: le service des étrangers à la préfecture de Seine-Saint-Denis.
(1) Mes ancêtres, Juifs de Varsovie, fuirent leur pays où s’affrontaient la Prusse et la Russie, pour chercher en France une terre d’asile. Ils s’y installèrent, prêtèrent serment de citoyen avant d’obtenir la nationalité française.
(2) Les articles 3 et 7 de la Convention des droits de l’enfant établissent «l’intérêt supérieur de l’enfant comme considération primordiale» et «le droit de tout enfant à connaître ses parents et être élevé avec eux».
(3) Après des mois dans notre pays, beaucoup de familles ukrainiennes accueillies en France n’ont toujours pas perçu la moindre aide de l’État. Elles subsistent grâce à l’aide et la mobilisation d’associations et de la générosité publique.